L’église Notre Dame du Grau érigée au Grau d’Agde en 1583 par le gouverneur du Languedoc Henri Ier de Montmorency, et la chapelle dite « de la Genouillade » toute proche marquent le site d’une source et d’un rocher sur lequel la Vierge, priant Dieu d’arrêter la montée des eaux qui l’envahissaient régulièrement depuis la Méditerranée, aurait laissé l’empreinte de son genou fléchi.
C’est un lieu de pèlerinage très actif sur la via Tolosana d’Arles à Compostelle.
Un environnement sacré et périlleux
Situé entre mer et fleuve marécage et pinèdes, le site a connu de nombreuses occupations : habitat gallo-romain, oratoire fondé en 450 par Saint-Sever, autel à Marie au VIe ou VIIe siècle, couvent bénédictin puis capucin fondé au XVIe siècle par Henri,Connétable de Montmorency. Il ne subsiste aujourd’hui de ce couvent vendu comme bien national à la révolution et partagé en propriété privée que quelques arcades, un puits et des salles souterraines voûtées : une source qui valut à Notre Dame du Grau son nom primitif de notre Dame d’Aigues Vives, prend naissance dans un puits voûté recouvert ultérieurement d’un bâtiment en basalte. Le cheminement de l’eau, couvert par les Capucins, s’effectue en partie par ce réseau de salles souterraines jusqu’au puits de l’ancien cloître.
La géographie du site est particulière : Le phénomène de submersion de l’embouchure de l’Hérault est bien connu à Agde il a été porté à son paroxysme à plusieurs reprises : en 1766 1800,1875, et 1907. Si la mer est en tempête alors que l’Hérault est en crue les eaux au lieu de s’écouler refluent dans les terres. Il faut imaginer le rivage bien plus près qu’il n’est aujourd’hui : l’embouchure du fleuve côtier Hérault n’était alors pas endiguée et s’ouvrait dans la mer par un estuaire (un « grau » en langue d’oc). Toute la plaine était inondée jusqu’au pied du sanctuaire actuel.
Saint Sever, Rinilo, Henri de Montmorency : les bâtisseurs
Au milieu du 5e siècle un riche noble syrien désireux de vivre selon la pauvreté évangélique partit de chez lui, mettant ses richesses et une partie de son personnel sur un bateau en confiant à la providence le soin de le guider. Il aborda ainsi à l’embouchure de l’Hérault (le « grau ») et après avoir donné la liberté à ses gens et ses richesses à l’évêque d’Agde Béticus, il se retira près d’une source afin d’y vivre en ermite dans une cabane de roseaux. Les Agathois voulant avoir ce saint homme auprès d’eux construisirent un monastère près de l’église Saint-André. L’un de ses disciples, Adjutor, voulant fuir le monde changea son nom en Maxence et se rendit en Poitou où il fonda un monastère qui prit son nom( Saint- Maixent). L’ancien ermitage ne fut pas abandonné pour autant et resta habité par quelques religieux. C’est l’un d’eux qui fut le témoin d’une apparition à laquelle on ne peut assigner aucune date et dont le premier récit connu date de 1868. L’abbé Emmanuel Martin d’Agde le rapporte dans sa « Notice sur Notre-Dame du Grau suivie de la vie de Saint Sévère » : « la mer soulevée avec une violence extraordinaire soutenue pendant plusieurs jours, semblait conjurée avec l’ Araur (l’Hérault) débordé pour engloutir cette contrée jadis sortie de ses eaux. Un de ces tremblements de terre fréquent autrefois sur ce sol vomi tout entier par un volcan sous-marin ajoutait à la terreur profonde des habitants. Un ermite du Grau qui répandait son âme devant l’autel demanda grâce pour Agde et Marie lui apparut : il la vit agenouillée sur la pointe d’un rocher basaltique que l’inondation respectait encore et joignant ses prières à celles de son serviteur. Alors les flots s’abaissèrent, la mer s’éloigna de ces lieux qu’elle ne devait plus menacer et la Pierre signalée à la vénération des fidèles par le dévot ermite fut marquée d’un sceau profond semblable à l’empreinte d’un genou. On éleva à côté une espèce de colonne pour en indiquer la place. Plus tard une église a succédé à la colonne et le peuple est accouru pour vénérer avec respect ce monument de la piété de nos pères et de la bonté de Marie ».
Plus tard, au VIe ou VIIe siècle, un lieu de culte chrétien doté d’un autel dédié à Marie fut fondé sur le site par une vierge pieuse d’origine germanique voire wisigothique, Rinilo, en vue d’expier ses péchés. On ignore si Rinilo appartenait à un état religieux particulier. L’autel à Marie, et un autel dédié à l’apôtre Pierre furent placés près de l’autel principal. La dédicace a pu être ainsi reconstituée :
« Ce lieu de culte fondé par Rinilo, vierge dévouée à Dieu est consacré au Christ, un autel établi à la bienheureuse Vierge Marie et un oratoire sous le vocable de Pierre, apôtre et confesseur. Elle a œuvré pour l’expiation de ses fautes ».
Fundabit hoc templum Rinilo D(e)odicataVirgo sacratum Christo(xPO) Marie Virginis alme condidit altare. Petro apostoli confessor… oratoria titulabit sci..laboribus expiens.
En 1583, Henri de Montmorency (1534-161), figure marquante des guerres de religion, gouverneur du Languedoc et connétable de France, fit construire le couvent des capucins et une église, consacrée en 1609 par l’évêque d’Agde, Henri de Montmorency y fut inhumé en 1614. Sa dépouille revêtue de l’habit des Capucins et son cercueil de plomb furent vandalisés en 1792. Le marbre fut enlevé et vendu, le cercueil fut brisé et fondu pour en faire des balles. Les ossements jetés au fond de la fosse furent recouverts de terre1. Après la profanation de la sépulture une partie des ossements d’Henri de Montmorency a été rejetée dans le caveau accompagné de restes osseux provenant d’une autre sépulture profanée.
Le retable en marbre rouge de Caunes-Minervois enchâssant une statue de la Vierge à l’Enfant fut reconstruit en 1830 après le sac révolutionnaire de 1793. Une petite chapelle latérale conserve un retable de plâtre abritant en son centre une statue de la Vierge en bois doré du XVIIe. Le portail à colonnes doriques en basalte n’est autre que l’ancienne entrée de la cathédrale d’Agde L’église abritait de nombreux ex-voto : tableaux, maquettes, plaques de bois ou de marbre, autant de remerciements des gens de mer en quête de protection, souvent légendés « V.F.G.A », « Votum feci, gratiam accepi ». L’inventaire de 1906 en dénombrait près de cinq cents, dont seulement trente ont pu être sauvés de l’humidité et des pillages et sont désormais conservés au musée d’Agde.
La Chapelle de la Genouillade
La chapelle de l’Agenouillade fut aussi érigée en 1583 par Henri de Montmorency, autour du rocher marqué par l’empreinte du genou de la Vierge. Elle porte sur la toiture une lanterne des morts. Les fresques intérieures, achevées en 1667, représentent les quinze mystères du Rosaire. Le vitrail figurant le miracle, date de 1943.
En 1920 fut construit sur le parvis un rocher artificiel avec une grotte figurant l’ermitage, et une statue monumentale de la Vierge agenouillée. À cette rare apparition de la Vierge agenouillée, « les chrétiens ont porté plus de dévotion et de référence à cette sainte chapelle ou la sainte mère de Dieu accorde tous les jours de nouvelles grâces et faveurs à ceux qui viennent réclamer les secours de la puissante reine des cieux (abbé Maurin, » Notre-Dame du Grau d’Agde », 1928).
Article publié dans la revue Una Voce n°347 de Mai – Juin 2024
- Des travaux archéologiques ont permis de découvrir ce caveau dont les caractéristiques sont en tout point identiques à celles contenues dans le récit du saccage.↥