Les cires de Nancy : hiératiques et vivantes

Ces petites figurines de cire moulée, à la composition méticuleuse, insérées dans de petits tableaux de papier et de carton de couleur, ont été pour la plupart réalisées au XVIIIe siècle par des maîtres nancéiens, les Frères Guillot et leur nièce Mademoiselle Bernard. Elles ont séduit la bourgeoisie et la noblesse dans le sillage des ducs de Lorraine1 par leur décor et la galerie de vêtements dont elles sont parées. Le musée du Hiéron à Paray-le-Monial en expose près de 200, issues pour la plupart d’une collection privée : c’est la deuxième exposition thématique après celle du Musée lorrain de Nancy il y a 35 ans.

De l’image pieuse au tableau de cire : pour la protection des foyers et l’éducation religieuse.

Les colporteurs, nombreux dans l’Est de la France et les régions montagneuses, ont diffusé dans les campagnes de nombreuses gravures au thème civil ou religieux. Elles constituaient un élément de décor intérieur abordable et étaient utilisées pour décorer le foyer, encadrées et accrochées aux murs, clouées sur les portes ou collées à l’intérieur des coffres.

Au contraire du « fixé sous verre » largement diffusé dans les campagnes, la cire habillée est plus appréciée par un milieu urbain, bourgeois voire aristocratique. Le support de la cire habillée nancéienne est une boîte en carton ou en papier mâché recouverte d’une feuille de papier. L’intérieur du boîtier est dissimulé par de l’étoffe ; cire et vêtements sont cousus sur ce fond. Un cadre en bois doré plus ou moins travaillé et une vitre ferment la boîte au verso de laquelle sont collés les mentions du fabricant. Il est rare de trouver aujourd’hui une cire « inviolée » : la plupart ont été ouvertes plusieurs fois, des étoffes ont été changées et des restaurations plus ou moins heureuses ont eu lieu. À chaque ouverture correspond une nouvelle feuille de papier collée à l’arrière de la boîte.

Les techniques originales des Frères Guillot

C’est à Nicolas Guillot (1701-1780), l’aîné des frères Guillot, que l’on attribue la paternité des premières cires. Avant de travailler ce matériau, il habillait des images en plaçant des chutes de tissu pour créer les vêtements sur un fond noir collé tandis que la tête et les mains étaient en papier.

Nicolas Guillot fut le premier à utiliser un fond noir qui permettait de mettre plus en avant les estampes « habillées » : certaines parties de la feuille de papier étaient évidées et remplacées par des chutes de tissu. Puis il remplaça les gravures de personnages par des figurines de cire d’abeille d’une grande finesse, imitant la porcelaine par sa blancheur, son poids, ses couleurs et son vernis. Il connut presque immédiatement un grand succès. Il assurait la finition par un rideau dans un coin supérieur du tableau. Son frère cadet François (1709-1796) fabriquait lui aussi des cires ainsi que des animaux et des paysages en relief. Le benjamin, Charles (1717-1778) créait la plupart des éléments de décor, utilisant des tissus nobles (soie, velours, dentelle), des coquillages, des perles, des plumes, du verre de couleur pilé. (photo 1 Sainte Marie Madeleine) Abbé, sous-chantre de la Primatiale de Nancy, il se spécialisa dans le carton découpé et réalisa des plans de fortifications et de cathédrales en relief, réputés dans l’Europe entière. Mademoiselle Bernard qui assistait ses oncles Guillot a signé (« Bernard ») quelques pièces originales. Le « Sieur Courtois », « modeleur, machiniste, ouvrier en cire », dont les boîtes vitrées présentaient des personnages de cire sommairement animés, officia à Nancy à partir de 1752, créant des crèches de grandes dimensions dénommées « Bethléem ».

Des artisans ciriers plus modestes, et des communautés monastiques2 imitèrent ce travail en produisant leurs propres tableaux ou reliquaires, car l’entreprise des frères Guillot, capable de produire en série, fournissait également tous les éléments de décor et les pièces détachées en cire.

Les créations sont signées et arborent un bandeau reprenant le texte et la calligraphie de la gravure dont elles sont inspirées.

Évangile en tableaux et Saint patrons

La figurine de cire rendait accessible l’iconographie religieuse à un large public qui ne pouvait commander des œuvres à des peintres ou des sculpteurs. La production des figuristes nancéiens est essentiellement religieuse, proposant des tableaux de saints à des fins de vénération ou de prophylaxie : le saint patron du commanditaire, celui de son métier, de sa confrérie, ou encore un saint particulièrement vénéré en Lorraine. On trouve donc Saint Nicolas (v.270-v.350), protecteur des marins et des enfants mais aussi patron de la Lorraine, Saint Antoine invoqué par les étourdis, et les personnes affligées de maladies de peau. Sainte Marguerite, patronne des femmes en couches… Sainte Barbe, patronne des mineurs et des artilleurs, invoquée contre les incendies et la mort subite. Des saints et bienheureux lorrains, on retiendra Saint Pierre Fourier (1565-1640) et la Bienheureuse Alix Leclerc ( 1576-1622), fondateurs de congrégations enseignantes, Saint Elophe (premier martyr lorrain), Saint Sigisbert ( 630 ?- 656), fondateur de plusieurs monastères bénédictins en Lorraine et des saints spécialement vénérés en Lorraine, Charles Borromée (1538-1584) et Léopold III d’Autriche dit Le Pieux (1073-1136). Notre Dame de Bonsecours, Notre Dame du Luxembourg, Notre Dame de Passau, vénérées à l’est et à l’ouest du Rhin figurent aussi dans ce panthéon de figurines richement habillées de soie à rayures d’or et d’argent, velours et tulle.

Les scènes de l’Évangile étaient proposées à la vénération des croyants : Annonciation, Nativité, Vierge à l’Enfant, épisodes de vie du Christ, la Cène et la Passion.

La Cène

La scène centrale de la foi chrétienne se présente soignée, et ornée, destinée à illuminer un foyer ou une chapelle. Plusieurs ont été réalisées dans un atelier parisien comme l’indiquent les bandeaux, par une maître cirière, peut-être mademoiselle Bernard.

Offrant son puissant mystère à la vénération des fidèles et à l’interrogation respectueuse des non croyants, elle est le meilleur témoignage de cet artisanat sophistiqué qui restait accessible aux plus simples

Photo: la Cène, Paris XVIIIe siècle, atelier de Madame ? « Madame, figuriste en cire demeure rue Montmartre chez Monsieur Giret, épicier au bas de l’ Egout aux B.. Paris ». 44,5 X 57 cm.

La Cène, Paris XVIIIe siècle, atelier de Madame ?
La Cène, Paris XVIIIe siècle, atelier de Madame ? « Madame, figuriste en cire demeure rue Montmartre chez Monsieur Giret, épicier au bas de l’ Egout aux B.. Paris ». 44,5 X 57 cm.

Quelques figurines « civiles » honorant un personnage ont été conservées : en hommage funèbre, ou pour rendre plus proche un personnage éloigné : ainsi, la princesse palatine Charlotte-Elisabeth de Bavière, duchesse d’Orléans, écrit-elle à la Rhingrave Louise le 1er octobre 1699 : « je doute fort que jamais je verrai de mes yeux mon petit-fils, mais ma fille [la duchesse de Lorraine Élisabeth-Charlotte] va me l’envoyer moulé en cire ». Quelques étonnantes boîtes de colporteurs ont été conservées dans des musées dans l’est de la France (musée départemental des Vosges d’Épinal, musée paysan de Champlitte, musée historique lorrain de Nancy). De taille suffisante (63 X 50) pour contenir de nombreux objets proposés à la vente par le colporteur (ou « chamagnon ») ces vitrines portatives étaient tenues par des bretelles, à l’avant du corps.

Bien que certains tableaux de cire soient tardifs, (jusqu’au milieu du XIXe siècle) leur production a cessé et c’est à un collectionneur privé que l’on en doit la réunion pour cette exposition au musée Hiéron. Le musée lorrain de Nancy en expose quelques-uns.

Les cires habillées, dans leur bon état de conservation, demeurent de modestes témoins de la piété de nos aïeux et de la clarté des représentations des vérités de la foi catholique.

Exposition au musée Hiéron de Paray-le-Monial, Association Trésors de ferveur, du 6 juillet 2024 au 5 janvier 2025.

Bibliographie

« Cires de Nancy, Paradis de cire et d’étoffes », catalogue d’exposition.
« Les cires habillées nancéiennes », Revue « Le pays lorrain », N° 2-bis, 1989.
Crédit photos : © JP Gobillot – Musée du Hiéron – Trésors de Ferveur.

  1. Sous la régence (1729- 1737) d’Élisabeth Charlotte d’Orléans, veuve de Léopold 1er de Lorraine (1679-1729) et mère de François III ( 1708-1765) retenu à Vienne de 1730 à 1737. François III est le fondateur de la maison impériale et royale de Habsbourg-Lorraine par son mariage en 1736 avec Marie-Thérèse de Habsbourg (1717-1780), archiduchesse souveraine d’Autriche. À Élisabeth-Charlotte succéda Stanislas Leszczynski, beau-père de Louis XV qui lui offrit le duché de Lorraine cédé sous la contrainte par François III.
  2. Les carmels de Nancy et de Beaune maintenaient cette tradition jusqu’à la fin du XXe siècle.