Atteint de tuberculose dès son adolescence, Henri Pourrat né à Ambert (Puy-de-Dôme) en 1887 dut renoncer à des études d’agronomie et fut ajourné en 1914 (ce qu’il regretta profondément. Il se vit contraint de passer de longs mois au repos forcé. D’intenses lectures qui étaient sa seule distraction lui révélèrent sa vocation d’écrivain et la nature fut son inspiration et le thème majeur de son œuvre. Les bois et les champs de son Auvergne natale arpentés lors des promenades de santé nécessaires à sa guérison, le rythme des saisons et des travaux agricoles, ont créé le décor d’histoires enracinées dans le réel, où l’équilibre des personnes et de leurs relations doit tout au même respect de la nature.
Trop facilement cantonné, sans doute à cause du succès du premier volume de « Gaspard des Montagnes » couronné par le Prix littéraire du Figaro en 1921, au caractère « régionaliste » de son œuvre, Pourrat n’appréciait pas d’être taxé de poète du « régionalisme de papier » : il y voyait comme une « sous-littérature » tournée vers le pittoresque local, voire un « sous-exotisme » artificiel pour touristes inféodé à la doctrine du « Touring Club ». Son principe était tout autre : « régionalisme, pour que cela signifie quelque chose, il faut que ce soit connaissance et amitié de l’âme populaire »1.
La Nature pour guide
De la collection qu’il dirigea aux Éditions des Horizons de France, Pourrat précisa bien aux auteurs qu’il sollicita (Francis Jammes, Léon Daudet, Colette, Joseph de Pesquidoux, Valéry Larbaud et Paul Claudel) qu’elle n’était pas une entreprise de régionalisme et qu’il cherchait des écrivains « probes, nourris de la sève toujours neuve qui monte de la nature »2. Il édita dans son premier numéro un texte de Charles Péguy. Et d’affirmer dans Le Blé de Noël que Claudel lui-même était un « terrien » appartenant à « la plus vieille tradition française, la paysanne », louant son écriture faite de « mots courants, qui prennent chez lui comme une valeur de vie, un intérêt dans la vie en ronde bosse ».
Dans son essai « La Grande cabale » Pourrat exaltait l’« esprit de vie » de la nature » et la « sagesse de l’homme formé par la pratique de la nature » qui le fait accéder au « sens du mystère », au « sens de l’ensemble », et prendre part au « grand mouvement de la création lancée de la main de Dieu »3. Claudel a bien perçu et apprécié ce « mystère spécial » de la « vieille terre » (Lettre 16 de la correspondance Henri-Pourrat -Paul Claudel) et ne pouvait que souscrire à la vision de Pourrat d’une nature « souvenir du jardin perdu et promesse du paradis ». Il confirme que, pour lui aussi, « il n’y a qu’une tradition, l’usage, le peuple, la nature » (Lettre 24).
Claudel et Pourrat : une admiration réciproque
Quand Pourrat adressa à Claudel en 1925 son Gaspard des montagnes, il ne cherchait pas seulement à entrer en contact avec lui pour recueillir une critique. Il espérait aussi « recevoir une force » car, très éprouvé par la maladie, il avouait « manquer de foi, de force, de « cette chaleur permanente qui vous soulève, vous pousse et vous fait travailler dans la joie », se sentant douter malgré une certitude : il ne pourrait trouver de solidité que dans le catholicisme et « sa vérité absolue comprenant et expliquant tout ».
Claudel se disait émerveillé par « la belle épopée paysanne « de « Gaspard des montagnes » et voyait en Pourrat le chantre du « mystère et de cette poésie spéciale qui sont ceux de la campagne française ». C’est ainsi que débuta leur correspondance.
Henri Pourrat considérait Claudel comme « un initiateur », dans la filiation spirituelle et poétique de Rimbaud, avec lequel il lui semblait partager « l’esprit de vigueur, la roideur, et une singulière puissance de relief », capable de doter la littérature d’une « troisième dimension »4, en somme « le plus grand poète catholique d’aujourd’hui »5. Le projet de Pourrat d’une anthologie claudélienne, soumis dans ses linéaments à l’auteur puis à des éditeurs, ne vit toutefois pas le jour.
Pourrat et Claudel étaient en accord parfait sur le rôle du poète : indiquer « les chemins et les passes », suivre une « piste de chasse à travers la feuille et l’herbe », afin « d’entrevoir, par instants, sous les vapeurs, le jardin défendu qui n’est autre que ce monde enfin relevé de la chute et tel que nous saurons le voir quand toutes choses seront dans le Royaume »6.
Synthèse d’une création littéraire et de la compréhension du monde et de la Création, la poésie doit donc servir la connaissance. « Une connaissance qui ne serait pas seulement science, mais amitié »7.
Le paysan, détenteur d’une sagesse
L’œuvre la plus aboutie, celle aussi de la maturité, Le Trésor des contes, fut publiée de 1948 à 1962. Pourrat y réunit tous les contes qu’il a entendus au cours de plusieurs années de promenades dans la montagne, restituant avec l’ambiance intime et mystérieuse des veillées toute la vie tant intérieure que sociale qu’ils mettent en scène et que l‘ écrivain des villes néglige ou méprise. Avant lui, George Sand avait aussi recueilli patiemment dans son Berry natal toute une tradition orale de légendes et contes régionaux dont son œuvre est nourrie et qu’elle a contribué à conserver dans le temps.
C’est la paysannerie qui est porteuse de vie et de sagesse. Elle est selon Henri Pourrat un témoignage vivant de ce que peut être la Chrétienté. Ses « Contes » ont pour ambition de livrer « le secret perdu de la montagne » et d’apprendre au lecteur ce que savaient « les gens d’ici », plus important que toute sagesse : « qu’il faut toujours être porté de bon vouloir, ne pas vivre tant qu’on n’aura pas mis de l’amitié dans l’air, ne s’ébahir de rien, et, tourné du côté de l’espérance, aller, marcher, se porter toujours plus outre »8.
L’accord de deux poètes chrétiens
La correspondance entre Claudel et Pourrat ne fut pas un échange de confidences intimes et de propos lénifiants. Claudel a pu être rangé dans les croyants professant une foi triomphaliste et un optimisme béat, Pourrat dans les catholiques conservateurs. Or c’est un dialogue sur la part d’inquiétude et de souffrance inhérente à tout engagement religieux « le sentiment de la présence invisible sur notre épaule gauche de cette croix sans laquelle il n’y a pas de chrétien » (Claudel, lettre 3).
Leur accord se fit aussi sur l’idéal commun d’une société chrétienne et la vision d’un monde ordonné par Dieu. « Christianisme et civilisation, au bout du compte, ça ne fait qu’un »9. Pourrat ne fut pas un auteur de religion, mais un auteur religieux.
Bibliographie
« Henri Pourrat, sa vie et son œuvre » Roger Gardes, Centenaire Henri Pourrat, Annales du CRDP de Clermont-Ferrand 1987.
Article publié dans la revue Una Voce n°339 de Novembre – Décembre 2022
- « La ligne verte » Editions de la NRF, 1929↥
- « Rencontres d’Henri Pourrat et Joseph de Pesquidoux à Chazeron » in « les nouvelles littéraires »,28 décembre 1929↥
- Henri Pourrat « La Grande cabale », Nouvelle revue française, septembre 1937.↥
- « Les Jardins sauvages » Editions de la NRF 1923.↥
- Henri Pourrat « Hommes de la campagne », in « Le Correspondant »,1927.↥
- ibid.↥
- Henri Pourrat « La ligne verte », op.cit.↥
- Henri Pourrat « Contes de la bûcheronne »↥
- Préface à « Maria » de son ami Lucien Gachon (1894-1980).↥