Nord de la rivière Rio Bravo, se sont affrontés dans la violence Indiens pueblos, conquérants espagnols et, colons anglo-saxons et autorités mexicaines, les lieux de culte catholique de cette terre indienne d’Amérique du Nord racontent l’histoire de l’évangélisation catholique sur ces terres « arides, altérées, sans eau » (Ps. 62), ses souffrances et ses succès.
Sanctuario de Chimayo, le « Lourdes » de l’Amérique
L’un des lieux de pèlerinage les plus fréquentés d’Amérique du Nord se trouve sur les pentes des Monts Sangre de Cristo au Nord du Nouveau-Mexique. Le toponyme « Chimayó » se réfère à la culture du piment très pratiquée dans cette région où des techniques sophistiquées d’irrigation ont été mises en œuvre par les Indiens bien avant la conquête espagnole.
La crypte d’une chapelle édifiée en adobe – un mélange d’argile, d’eau et de paille hachée-y offre à la vénération des pèlerins la « sainte terre » (« Holy dirt »), dans une cavité au sol où fut trouvé le jour du Vendredi saint de 1810 le Crucifix de Notre Seigneur d’Esquipulas. Influent propriétaire terrien d’origine basque, Don Bernardo Abeyta fit édifier sur ce lieu, avec l’autorisation de l’évêque de Durango (Mexique)1, le Sanctuaire de Chimayó, où défilent de nos jours, pour s’agenouiller et toucher cette terre,des pèlerins en quête de santé spirituelle, physique, mentale.
Sur le même lieu un voisin de Bernardo Abeyta, Severiano Medina,après sa guérison d’une grave maladie,fit lui aussi édifier en 1857 une chapelle, celle-ci dédiée à l’Enfant Jésus d’Atocha2). Une curieuse dévotion rappelant que cet enfant mystérieux marchait beaucoup pour desservir la prison, pieds nus ou en sandales vite usées, conduit les pèlerins d’aujourd’hui à déposer des chaussures d’enfant neuves dans l’antichambre dédiée aux ex-votos de ce sanctuaire. La chapelle, restée dans la famille Medina jusqu’en 1992, est désormais propriété de l’archidiocèse de Santa Fe, Nouveau Mexique. L’ensemble du sanctuaire est sous la responsabilité de la Congrégation des Fils de la Sainte Famille dont le siège est à Barcelone (Espagne).
Santa Fe : Chapelle de Lorette, Basilique Saint François d’Assise et chapelle Saint Michel
Dans cette ville très métissée,fondée par les Espagnols en 1542, choisie comme capitale du territoire en 1607 sous le nom de Villa real de Santa Fe de San Francisco de Asis sont visibles les influences des groupes qui y ont vécu : conquistadores et missionnaires espagnols et mexicains, trappeurs, pionniers du rail et des mines de fer et de turquoise, scientifiques et artistes…
Les influences de l ’Europe sont encore à l’œuvre dans les dédicaces des églises de Santa Fe (qui a toutefois sa Notre Dame de Guadalupe3) : la chapelle de Lorette construite en 1878 sur le modèle de la Sainte Chapelle de Paris, est considérée comme le « premier édifice néo- gothique construit à l’ouest du Mississipi »et est dotée d’un extraordinaire escalier de tribune en double spirale à 360° sans pilier de soutènement :exploit d’architecture intérieure, dû à un charpentier à qui serait apparu en personne Saint Joseph, le saint patron de sa corporation.
La Cathédrale de Santa Fe ne démérite pas, puisqu’ édifiée à partir de 1869 en style néo-roman par l’archevêque français Jean-Baptiste Lamy4 qui fit réaliser les vitraux en France. Élevée basilique en 2005 par Benoît XVI, elle propose à la vénération des fidèles une imposante vitrine- reliquaire qui contient des reliques de Saint François d’Assise, saint Justin de Samarie, Saint Lucien d’Antioche, Saint François Xavier, Saint Antoine de Padoue, sainte Félicité, Saint Camille de Lellis, Saint Pie X, et plus proches de nous, Sainte Catherine Marie Drexel5 (1858-1955) sainte Maria Goretti (1890-1902), la carmélite espagnole sainte Marie de Jésus (1891-1974) et saint Jean-Paul II.
La basilique conserve une chapelle de 1714 dont la Vierge habillée, la Conquistadora, apportée du Mexique en 1625, est portée en procession lors de la Fête Dieu.
La plus ancienne église des Etats Unis, la Chapelle Saint Michel, a été construite entre 1610 et 1630 pour la mission espagnole locale, en adobe épais de près d’un mètre cinquante. Elle conserve les plus anciens retables du Nouveau Mexique élaborés en 1798.
San Geronimo de Taos : deux fois sacré
Taos, petite ville à l’ouest du Nouveau Mexique, a conservé à sa périphérie actuelle un pueblo, un village entièrement construit en adobe au bord de la rivière Red Willow (« saule rouge ») qui a donné son nom à la tribu locale. Les Red Willow sont une branche des Indiens pueblos qui composent la majorité de la population de cette région du Nouveau Mexique : ils ont pour ancêtres les Anasazis et les Mogollon, dont l’exode inexpliqué au XIVe siècle a dilué l’identité, bien avant la conquête espagnole du XVe siècle.
A proximité du centre-ville se dresse l’église Saint François d’Assise, entièrement construite en adobe. A distance du centre, au pueblo historique dont le sol et la rivière sont sacrés, la petite église Saint Jérôme,un des plus récents bâtiments de ce village entièrement construit en adobe,est ouverte au culte, puisqu’une majorité des Indiens résidant sur place, à l’année ou en été, sont catholiques. Ils respectent toutefois leurs croyances ancestrales – le cimetière n’est ainsi pas accessible et les rites funéraires sont exclusivement indiens, ce que rappelle un cercueil « symbolique » placé à droite de l’autel. L’église actuelle remplace deux constructions successives : celle de 1619 détruite une première fois en 1680 lors de la révolte des Pueblos6, celle reconstruite en 1726 après le retour des Hispaniques, elle aussi détruite au cours de la guerre américano-mexicaines de 18477.
La Fraternité saint Pie X a ouvert en 2018 un monastère de bénédictines à Silver City (au Sud du Nouveau Mexique), et Mgr Fellay à l’époque a ainsi béni le premier monastère contemplatif de la FSSPX sur le sol américain. C’est aussi au Nouveau Mexique, au monastère d’Abiquiu, fondé en 1964 par un Bénédictin dans le désert à deux heures de route au Nord de Santa Fe, qu’a été créé en 1995 le premier site Internet monastique au monde : christdesert.org.
Article publié dans la revue Una Voce n°344 de Novembre – Décembre 2023
- la région appartenait alors au Mexique qui la céda à l’Amérique en 1846. Devenu « territoire » des États-Unis, le Nouveau Mexique n’acquit le statut d’État américain qu’en 1912.↥
- Atocha est un quartier de Madrid où s’est produit au XVe siècle, peu avant la Reconquista, un miracle de multiplication des pains distribués par un jeune enfant inconnu, seul autorisé à visiter dans leur prison les chrétiens captifs des Maures.↥
- Patronne du Mexique et de la ville de Mexico où son sanctuaire est le lieu de dévotion catholique le plus visité au monde après le Vatican, de l’Amérique latine, fêtée le 12 décembre.↥
- Auvergnat de naissance, il a inspiré le roman de Willa Cather (1873-1947) publié en 1927 « Death comes for the Archibishop » (traduit en français sous le titre « La mort et l’archevêque », Éditeur Rivages poche) ↥
- Sainte Catherine Marie Drexel, paroissienne de saint François d’Assise de Santa Fe, a fondé les Sœurs du Saint Sacrement, dévouées à des œuvres de charité et d’éducation auprès des Indiens du Nouveau Mexique.↥
- Il s’agit de la seule révolte d’Amérindiens contre le conquérant espagnol, menée par le chef religieux indien « Popé », qui chassa les Hispaniques de Taos pour dix ans.↥
- au cours de cette guerre, Mexicains et Indiens alliés contre les Américains du gouverneur Bent, assassinèrent celui-ci et se réfugièrent dans l’église San Geronimo où les troupes américaines les assiégèrent par le feu.↥