– Dossier : L’Enluminure française (Art. 4) –
Après 1490, l’imprimerie prit à grande allure le relais des manuscrits. Pas moins de 1585 éditions de livres d’heures furent mises sous presse entre 1480 à 1600, dont1 400 à Paris même. Les tirages par édition pouvant varier de six cents à douze cents exemplaires, ces livres circulèrent en grand nombre dans toute l’Europe alors largement analphabète. Depuis Mayence, la typographie se diffusa par de nouveaux ateliers d’imprimerie à Nuremberg, Bâle, Venise, Milan, Paris, créant une demande que n’aurait pu satisfaire la production manuscrite. A Paris, l’association des imprimeurs et des libraires fut à l’origine de l’essor des livres d’Heures imprimés dans les deux dernières décennies du XVe siècle : Jean du Pré1 (14..-1504) et Pierre Le Rouge imprimèrent les premières « Heures de Nostre Dame » illustrées de gravures sur bois, Antoine Vérard (1450-1514) publia 59 éditions d’Heures entre 1486 et 1513. Guy Marchant, actif à Paris entre 1482 et 1506 a probablement réalisé la première affiche de l’histoire avec l’impression en 1482 du « Grant Pardon de Nostre Dame de Rains».
Le livre imprimé reprend la même iconographie que les manuscrits
Au début du XVIe siècle, l’impression en nombre concurrença durement les copistes à la plume lente qui appliquaient minutieusement leurs couleurs sur du parchemin. Quelques imprimeurs maintinrent une production de qualité à faible tirage destinée aux lettrés et aux riches commanditaires, en imprimant sur vélin et coloriant à la main des vignettes ou des lettrines ou en faisant réaliser des manuscrits enluminés d’après copie d’ une édition imprimée : ainsi le « Dit des trois morts et des Trois vifs » de Guy Marchant2 , dont les miniatures ont été réalisées par l’enlumineur dit Maître de Philippe de Gueldre3 .
À Paris, l’atelier typographique Pigouchet associé au libraire Simon Vostre , actif de 1488 à 1515, porta à un niveau esthétique et technique inégalé les impressions de livres d’Heures. « Heures à l’usage de Paris », « Heures de Rome », sont ornées de bordures historiées où apparaissent des danses des morts et de nouvelles vignettes.
Durant le règne de François 1er, on comptait à Paris une trentaine de producteurs de manuscrits historiés, dotés de nombreux apprentis spécialisés. Dans les commandes passées aux enlumineurs, il n’était parfois pas précisé si le support était un livre manuscrit ou un livre imprimé. La tentative de la profession d’« enlumyneur et hystorieur »4 de s’ériger en corporation rencontra l’opposition définitive du prévôt de Paris en 1608 : il estimait que cette nouvelle jurande serait source de conflits.
Troisième centre d’imprimerie en France, après Paris et Lyon, les ateliers typographiques de Rouen actifs au cours du XVe siècle, ceux de Jean Le Bourgeois et de Jacques Le Forestier, éditèrent des livres d’Heures à l’usage des sept diocèses bas-normands dont soixante-douze éditions sont conservées aujourd’hui à Rouen.
Albi enfin, autre centre actif bien qu’éphémère d’imprimerie au XVe siècle,abritait un évêché parmi les plus riches du royaume car bénéficiaire de dîmes (sur le safran et le pastel5 ). Les prélats étaient proches des souverains français entre autres par leur direction de campagnes militaires contre les rébellions du « Midi ».
Jean Jouffroy (1412-1473), créé Cardinal en 1465, et titulaire de plusieurs abbatiats dont celui de Saint Sernin de Toulouse, obtint du pape Paul II des reliques de Sainte Cécile, dont l’authenticité est de nos jours incertaine mais dont la translation à la cathédrale d’Albi plaça celle-ci sous le patronage de Sainte Cécile. C’est par lui que l’art italien du Quattrocento fit irruption à la Cathédrale Sainte Cécile. Érudit et lettré, amateur de livres, il partageait sa bibliothèque entre Rome et Albi(au palais épiscopal de La Berbie)6. Quant à Louis d’Amboise (1432-1503), évêque d’Albi en 1474 après avoir été ambassadeur de Louis XI auprès du pape Sixte IV, il fut aussi le principal représentant de la monarchie en Languedoc : il bénit le mariage d’Anne de Bretagne avec Charles VIII et devint ensuite cardinal-légat de Louis d’Orléans, ce qui lui permit le recours aux meilleurs artistes pour édifier la cathédrale et élaborer sa décoration intérieure.
Les grands typographes albigeois stimulés par ce mécénat ont été « l’Atelier de l’Aenas Sylvius »7, Étienne Clébat (Missel à l’usage de Saint Étienne en 1490 et missel d’Auch en 1491) et surtout Jean Neumeister dit Jean de Mayence, probable apprenti de Gutenberg entre 1459 et 1463 ,qui fit à Albi une halte de trois ans. À cette époque, seuls trois diocèses français ont adopté le rit romain : Albi, Rodez et Avignon. C’est sans doute pourquoi Jean Neumeister, sur une faible production albigeoise de six livres, imprima deux livres liturgiques selon le rit romain, avant de s’établir à Lyon pour y réaliser, entre autres, l’édition princeps de La divine comédie de Dante, et le missale lugdunense (1487) : deux éditions qui font de lui l’héritier technique indubitable de Gutenberg.
Article publié dans la revue Una Voce n°342 de Mai – Juin 2023
- À distinguer de Jean du Pré (14..-1503) imprimeur à Salins, Lyon,Chartres, Uzès et Avignon.↥
- La plus ancienne représentation figurée d’une Danse Macabre se trouvait à Paris, sur les murs du Cimetière des Innocents(détruite en 1663) et l’imprimeur parisien Guy Marchant en reprit les figures sur des bois gravés pour imprimer deux éditions maintes fois reproduites, dont ce manuscrit à peintures , daté de 1510, est une copie.↥
- Philippe de Gueldre (1464-1547),duchesse de Lorraine, fille de Catherine de Bourbon et d’Adolphe d’Egmont, épouse de René II de Lorraine puis religieuse clarisse.↥
- titre porté par Etienne Colaud, réalisateur des « Statuts de l’ordre de St Michel « dont six exemplaires pour le roi François 1er « escriptz, enluminesz, relyez et couverts » (1528) ↥
- Colorant bleu fabriqué à partir des « cocagnes », boules résultant de la macération de feuilles d’Isatis tinctoria cultivées dans la région. Il enrichit les marchands d’Albi et de Toulouse au XVIe siècle et ne fut détrôné que par l’indigo.↥
- Le legs à son neveu Hélion Jouffroy fit de celui-ci le possesseur d’une des plus grandes bibliothèques privées du royaume de France, avec 650 volumes.↥
- du nom de l’auteur du roman De remedio amoris d’Aeneas Sylvius Piccolimini, nom de plume du pape Pie II (1477).↥