Saint Nicolas de Port : le gothique flamboyant lorrain

Saint Nicolas (env. 255-334) fut évêque de Myre en Lycie (sud-ouest de l’Asie mineure).

Sa sollicitude pour son peuple auquel il évita la famine, sa foi notamment au concile de Nicée en 325 et son action en faveur de la justice – il sauva à plusieurs reprises des prisonniers injustement condamnés – lui valurent sa réputation dans toute la chrétienté et on le vénéra en Europe occidentale dès le début du 11e siècle.

Une histoire mouvementée, du XIe au XVIIe siècles

En 1087, des marins de Bari allèrent chercher son corps à Myre en Lycie, au sud-ouest de l’Anatolie, pour le sauver des mains des Maures. Au même moment, le lorrain Aubert de Varangéville présent à Bari put emporter (ou voler ?) une relique du saint pour la rapporter chez lui à Port, près de Nancy : le bourg de Port avait une importante activité commerçante due au passage sur la Meurthe et plus tard aux libertés accordées par les Ducs de Lorraine. L’abbé de Gorze dont dépendait Port érigea un édifice consacré en 1093 par l’évêque de Toul pour y déposer la relique, qui fut aussitôt l’objet de miracles et de guérisons. Elle attira des foules de pèlerins au point qu’un prieuré (mentionné en 1181) fut construit pour gérer leur accueil : quatre mille croyants de toute la Lorraine y vinrent en 1583. Une église plus vaste, devenue nécessaire pour le bourg rebaptisé Saint-Nicolas-de-Port, fréquenté tant par des pèlerins que par des marchands de toute l’Europe, fut érigée en 1193. La cité dont le drap de laine était réputé était aussi un foyer culturel : les premiers livres de Lorraine y furent imprimés en 1501. Plusieurs congrégations religieuses y étaient implantées. Saint Nicolas-de-Port était la capitale religieuse et économique du duché de Lorraine.

Un édifice à la gloire de Dieu

La verrière de la grande baie occidentale rappelle les grandes dates qui ont marqué l’église : « 149. coepta, 1554 perfecta, 1635 incensa ».

La légende dit que René II, duc de Lorraine, fit construire à partir de 1481 une église à Port pour témoigner de sa reconnaissance après sa victoire sur le duc de Bourgogne Charles-le-Téméraire à la bataille de Nancy en 1477 : ayant placé ses troupes sous la protection de Saint Nicolas et assisté à une messe à Port le 5 janvier 1477, il défit le même jour à Nancy Charles le Téméraire1, qui y fut tué. Un sanctuaire important se justifiait aussi par l’indépendance toute nouvelle du duché de Lorraine, et René II offrit un reliquaire en forme de bras en orfèvrerie, destiné à recueillir la phalange du saint2 .

Il semble toutefois que la construction avait été entreprise dès 1475 par le prieur de Varangéville dont dépendait Saint Nicolas de Port, et déjà confiée à Simon Moycet3, prêtre séculier, fondateur de l’hôpital de la ville. Le soutien financier de René II, celui du frère de Simon Moycet, riche marchand devenu secrétaire de René II et anobli par lui, ainsi que des fonds rassemblés au cours du jubilé du pape Sixte IV, permirent d’entreprendre ce vaste chantier en 1481. Marie d’Autriche fit un don pour l’achèvement des tours lors de son passage en 1549. Ce fut un siècle de gloire pour la basilique par l’importance des pèlerinages et des visites illustres, la basilique étant la plus grande église de France entièrement réalisée en gothique flamboyant dans un laps de temps très court : sous la charpente de chêne posée entre 1660 et 1666, aux entraits de douze mètres de long, la nef se déploie sur 87 m de long, 36 m de large, et 30 m de hauteur (17 m sous les bas-côtés). La relique de Saint Nicolas y était exposée sur l’autel.

Durant la guerre de 30 ans la coalition franco-protestante de Richelieu s’acharna contre la Lorraine, détruisant la ville, profanant et incendiant la basilique en 1635 : la charpente partit en fumée et les tours menacèrent de s’écrouler. Après 1662, les combles furent rétablis et le couvrement fut entièrement terminé lors de la visite de Louis XIV en 1673. Les tours furent couvertes de bulbes en 17254.

Une architecture gothique audacieuse

Le trumeau est orné d’une remarquable statue de Saint Nicolas, du sculpteur champenois Jacques Bachot, qui témoigne du sommet qu’avait atteint la sculpture gothique en Lorraine dans le premier tiers du XVIe siècle. Les 2 tours latérales s’élèvent sur 5 niveaux et suivant le principe de la cathédrale gothique de Toul, leur dernier étage est octogonal. L’élément le plus remarquable et original de cette façade est constituée par le toit des tours qui figurent parmi les plus belles et les plus hautes de la Lorraine gothique : 2 bulbes polygonaux légèrement dissymétriques. La nef à plan basilical est séparée du chœur par un monumental transept, en fait un « faux-transept double » : 2 bras parallèles sont nettement marqués par 2 baies monumentales dont deux colonnes isolées élancées de 21 m de hauteur marquent les limites. Celle du côté Sud se prolonge par une torsade, celle du côté Nord par des lancettes aveugles. Elles s’élèvent ainsi jusqu’à la naissance des voûtes ou elles reçoivent la retombée d’un bouquet de seize nervures et de 2 arcades jumelles. La torsade décorative de la colonne Sud, placée à cette hauteur, est un exploit technique jamais tenté ailleurs. Les architectes d’Henri IV, de passage à saint Nicolas de Port en 1604, ont considéré ces colonnes comme des « merveilles de l’art ».

Les fenêtres hautes dispensent la lumière en occupant toute la largeur disponible. Chaque travée jusqu’au chœur est couverte d’une voûte à liernes et tiercerons qui accentue l’aspect homogène de l’édifice. Ce n’est qu’en regardant cette voûte que l’on aperçoit une rupture d’axes de la nef, due à la topographie particulière d’un versant de coteau et la limitation de l’espace disponible au moment de la construction : le chœur n’est pas à l’Est mais au Sud-Est. L’axe de la basilique n’est donc pas rectiligne5, mais brisé. Pour les mêmes raisons, le parvis est étroit et plusieurs marches sont à gravir pour accéder au portail central dont le gâble s’élève jusqu’au milieu de la rosace de six mètres de diamètre. Les autres portails sont décorés de nombreuses niches à socles et dais qui n’ont jamais abrité les statues prévues. Seule figure au trumeau du portail central la statue de Saint Nicolas réalisée vers 1525.

Des vitraux conservés

L’ensemble verrier de la basilique est considéré comme l’un des plus beaux d’Europe du début du XVIe siècle. C’est à la famille ducale de Lorraine que l’on doit les verrières de l’abside. Dans l’abside du chœur, les 12 panneaux des 3 fenêtres orientales sont consacrées à des représentations de saints personnages entourant l’Annonciation et sur la fenêtre de droite est figuré le duc René II accompagné de Saint-Nicolas. Sur le panneau de droite se trouve le fils de René II, Antoine, auprès de Saint Antoine de Padoue, et entouré de divers saints. Ces vitraux sont du maître-verrier lyonnais Nicolas Droguet assisté de Jacot de Toul. Dans le bas-côté nord se voit une belle représentation de la Transfiguration de Valentin Bousch qui commença à travailler pour la basilique en 1514. Un ensemble de verrières assez complet et conservées dans la 3e chapelle du côté nord présente des scènes de la vie de la Vierge. Enfin, la « grisaille des Berman », datée de 1544 et rescapée de l’incendie de l’hôtel particulier des Berman, riches marchands portois, peut être admirée dans une chapelle.

Le grand Orgue

Il est placé sur une tribune suspendue en encorbellement dans une travée transept nord : un emplacement inhabituel mais constant depuis l’installation du premier instrument au XVIe siècle. Le buffet aux dimensions exceptionnelles date de 1848. La statuaire en façade représente Saint Nicolas encadré à gauche du roi David et de Saint Joseph, à droite de la Vierge et de sainte Cécile. La partie instrumentale actuelle a été inaugurée en 1994 et ré harmonisée en 2010 : l’instrument comporte 3663 tuyaux, 54 jeux, 4 claviers de 56 notes et un pédalier de 30 notes.

Une curiosité : les échoppes

Six échoppes de marchands créées sous les chapelles du bas-côté nord du cœur mettent à profit la déclivité du terrain. Elles s’ouvrent sur la rue des Fonts, un passage quasi obligé des pèlerins qui accédaient généralement à la basilique à partir de la rue principale située à l’arrière de l’édifice et entraient par le portail latéral nord. Ces échoppes louées par le prieuré vendaient des objets de piété et aussi des cornets en verre ou en métal dans lesquels, selon une croyance populaire, on soufflait pour éloigner les orages.

Au milieu du XIXe siècle, l’état de l’église semble assez alarmant : Prosper Mérimée mentionne dans son rapport à la commission des monuments historiques la ruine imminente de l’édifice, qui est classé dès 1840. Le 18 juin 1940, un obus touche l’église en pulvérisant la voûte qui couvrait les 2 travées orientales proches du cœur et leurs collatéraux Sud. Des réparations permirent de consolider l’édifice, de 1942 à 1951 et Pie XII lui conféra en 1950 le titre de basilique. Une enfant du pays devenue américaine, Camille Croué-Friedman (1890-1980), fit d’abord le don d’un vitrail à l’église, puis légua sa fortune à l’évêché de Nancy « pour reconstruire et entretenir la basilique afin qu’elle retrouve sa beauté originelle ». Ce fut en 1983 le plus grand chantier de restauration patrimoniale d’Europe exclusivement financé sur fonds privés. D’exceptionnelles peintures murales masqués par des badigeons ont été retrouvées et sont en cours de restauration, dont un cycle de la vie de Saint Fiacre. Pour les spécialistes, Saint-Nicolas-de-Port concurrencera l’église de Sillegny qualifiée de « Sixtine lorraine », ce qui ajoutera encore à sa splendeur.

Bibliographie :

Suzanne Braun « Lorraine gothique », Éditions Faton, 2023.

Collectif Association Connaissance et renaissance de la basilique de Saint Nicolas de Port, Académie Stanislas, CRULH-LISCANT-MA, 2023.

Article à paraître dans la revue Una Voce n°348 de Septembre – Octobre 2024


  1. La chronique de Lorraine relate que René II ne voulant s’approprier seul les mérites du combat en rendit l’honneur à « Monseigneur Sainct Nicolas » en le réputant « père du pays, duc et déffense de Lorraine ». Le corps de Charles le Téméraire ne fut pas retrouvé, probablement dévoré par les loups qui abondaient en ce mois de janvier aux portes de Nancy.

  2. François Dominique de Mory d’Elvange, (1738-1794) érudit et numismate, membre de l’Académie, eut le courage de sauver sa forme en dessinant le reliquaire du bras qui, réquisitionné, fut fondu en pleine tourmente révolutionnaire (1793).

  3. Promu en 1508 « gouverneur de l’édifice, de la fabrique et réédification de l’église », titre qu’il conserva jusqu’ à sa mort, il en fut donc maître d’ouvrage, maître d’œuvre, et recruta les architectes Michel Robin et Hans de Moyeuvre.

  4. Comparées par Maurice Barrès à « deux grognards casqués qui semblent monter la garde aux portes du Vermois ».

  5. L’angle de déviation entre la nef et le transept est de 6°.